L'industrie des croisières confrontée au dilemme de sécurité dans les Caraïbes
Le paquebot Norwegian Epic, exploité par Norwegian Cruise Line, a pris une décision sans précédent mercredi 18 décembre 2025 en annulant son escale prévue à Curaçao en raison de préoccupations de sécurité liées à des activités militaires dans la région. Le navire, avec environ 4 200 passagers et 1 700 membres d'équipage à bord, a navigué directement d'Aruba à la Barbade, marquant la première fois depuis la pandémie de COVID-19 qu'un navire de croisière évite Curaçao pour des raisons de sécurité.
Des exercices militaires entraînent un changement d'itinéraire
Norwegian Cruise Line a déclaré que la décision avait été prise par précaution en raison d'exercices ou d'opérations militaires en mer à proximité de l'itinéraire prévu. Bien que la société n'ait pas précisé quels exercices avaient provoqué le changement, celui-ci intervient dans un contexte d'escalade des tensions entre les États-Unis et le Venezuela, qui ont accru la présence militaire dans la région des Caraïbes. Selon des rapports régionaux, le capitaine a informé les passagers que des exercices navals dans la zone rendaient l'ajustement de l'itinéraire nécessaire.
« Nous sommes particulièrement prudents car des exercices militaires ont lieu près de notre itinéraire prévu, » a expliqué un porte-parole de Norwegian Cruise Line. « La sécurité des passagers est notre priorité absolue, et nous avons pris cette décision en concertation avec nos équipes de sécurité. »
Les tensions géopolitiques déferlent sur le tourisme
La décision intervient à un moment particulièrement sensible pour Curaçao, qui a récemment connu plusieurs incidents évités de justesse dans son espace aérien impliquant des avions militaires américains et des vols commerciaux. L'Administration fédérale de l'aviation (FAA) américaine a officiellement désigné l'espace aérien contrôlé par le Venezuela comme une zone à haut risque pour l'aviation civile, citant une activité militaire accrue comme une menace potentielle pour les opérations commerciales.
Le Premier ministre de Curaçao, Gilmar 'Pik' Pisas, a annoncé mercredi soir que les États-Unis avaient confirmé que les avions militaires américains activeraient leurs transpondeurs dans l'espace aérien de Curaçao et d'Aruba. En outre, Washington aurait contacté plusieurs compagnies aériennes et de croisières pour les tenir informées des développements régionaux.
Impact économique sur l'État insulaire
L'industrie des croisières représente une bouée de sauvetage économique vitale pour Curaçao, avec plus de 300 navires de croisière visitant l'île chaque année et apportant entre 800 000 et 900 000 passagers. Selon la Banque centrale de Curaçao et de Saint-Martin, le tourisme stimule la croissance économique dans les deux territoires malgré les incertitudes mondiales. La mission de l'article IV 2025 du Fonds monétaire international a rapporté une forte croissance économique de 5 % pour Curaçao en 2024, largement portée par des performances touristiques robustes.
« C'est profondément préoccupant pour notre secteur touristique, » a déclaré un représentant de l'autorité portuaire de Curaçao. « L'industrie des croisières contribue substantiellement à notre économie locale, surtout pendant la haute saison. Nous espérons qu'il s'agit d'un incident isolé. »
Préoccupations de sécurité régionale plus larges
Les Caraïbes ont connu une présence militaire américaine accrue dans le cadre de l'Opération Southern Lance, une opération de sécurité ciblant les réseaux de trafic de drogue. Les États-Unis ont déployé des unités navales importantes, notamment le porte-avions USS Gerald R. Ford, des destroyers et des navires d'assaut amphibies dans la région. Selon le Council on Foreign Relations, environ 10 000 soldats et 6 000 marins sont positionnés dans les Caraïbes, avec une activité accrue sur des sites militaires à Porto Rico et dans les îles Vierges américaines.
Le Venezuela a répondu par des mobilisations militaires le long de sa côte, le président Nicolás Maduro ayant décrété une préparation maximale face à ce qu'il appelle une « menace sanglante ». Les États-Unis ont mené depuis septembre plus de 20 attaques contre des navires présumés transportant de la drogue, faisant au moins 83 morts, bien que des experts notent que le Venezuela ne joue aucun rôle dans le trafic de fentanyl et un rôle limité dans le trafic de cocaïne.
Réaction de l'industrie et implications futures
La décision de Norwegian Cruise Line reflète des préoccupations croissantes au sein de l'industrie des croisières concernant l'exploitation dans des régions où l'activité militaire est accrue. Le rapport 2025 de la Cruise Lines International Association souligne la reprise et la croissance de l'industrie après les défis de la pandémie, mais note également l'importance d'environnements opérationnels sûrs.
D'autres compagnies de croisières surveillent de près la situation, certaines envisageant des ajustements d'itinéraire pour les navires prévus pour visiter les îles ABC (Aruba, Bonaire et Curaçao). Le ministre néerlandais de la Défense, Ruben Brekelmans, a souligné qu'il n'y avait pas de menace directe pour les îles caribéennes néerlandaises, mais la situation reste fluide.
Alors que les tensions géopolitiques continuent de mijoter dans les Caraïbes, les économies dépendantes du tourisme d'îles comme Curaçao font face à un avenir incertain. Reste à savoir si le changement d'itinéraire du Norwegian Epic représente une mesure de précaution ponctuelle ou signale une tendance plus large dans le routage de l'industrie des croisières, mais l'incident souligne comment les conflits mondiaux peuvent directement affecter les économies locales à des milliers de kilomètres des lignes de front.